Deux fois par jours, le matin et le soir, nous avons l’obligation de lire le passage du Shéma. Passage incroyable où machinalement, nous acceptons chaque jour et ce à deux reprises le joug divin. Nous nous soumettons à la volonté de Dieu.
Dans ce passage du Shéma, plusieurs obligations, plusieurs commandements de la Torah y sont mentionnés. Mais j’aimerai approfondir un en particulier, celui de l’obligation pour chaque homme juif au-delà de l’âge de treize ans de porter ce qu’on appelle les phylactères ou bien tefillin en hébreu. Les tefillin sont des petites boites noires fabriquées avec des peaux de vaches, desquelles sortent des lanières noires et dans lesquelles sont renfermés quatre parchemins. Sur ces parchemins est inscris entre autre le passage biblique du Shéma. De nos jours, on noue ces tefillin sur notre bras et sur notre tête qu’une fois par jour au moment de la prière du matin (excepté le jour du Shabbat le Samedi) mais à l’époque, on les gardait nouées durant toute la journée.
Pourquoi doit-on poser sur nous ces phylactères ? Quel est la raison de cet accoutrement ?
La réponse est dans le verset même de cette obligation :
‘’וקשרתם לאות על ידכם...’’ ‘’Et vous les nouerai comme SYMBOLE sur vos mains’’
La raison même de ce commandement est de porter un symbole. Un symbole ? Ben c’est un ‘’truc’’ qui nous sert à montrer aux autres notre appartenance à une identité, à un groupe. On le voit même dans la Torah, lorsque Moise veut prouver qu’il est bien l’envoyé de Dieu et que sa parole appartient bien à Dieu, il reçoit de Dieu des ‘’אותות’’ ‘’des symboles’’. Dans la Parasha Shémote, Dieu lui enseigne plusieurs prodiges qui lui serviront comme symboles pour se faire écouter auprès des enfants d’Israël. Même à la sortie d’Egypte, Dieu demande au Peuple Juif de mettre du sang sur les poteaux de leurs maisons pour montrer à l’ange destructeur qu’ils appartiennent bien au Peuple Juif et qu’ils doivent donc être épargnés.
D’ailleurs, il suffit de regarder autour de nous, on ne manque pas de moyen pour symboliser notre appartenance à un certain milieu, on aime bien symboliser cela et montrer au monde entier qui nous sommes. Mettre un écusson du PSG dans notre voiture, porter un manteau en cuir noir qui recouvre le corps et des chaussures style rangers noirs à hauts talons pour montrer qu’on est gothique, les drapeaux, les pin’s…
M’enfin… On aurait pu trouver mieux quand même pour symboliser notre appartenance au Peuple Juif. On aurait pu se suffire du chapeau noir avec la chemise blanche et la veste noir. Ou bien juste la Kippa. Pourquoi un machin qui ressemble plutôt à un outil médical pour mesurer la pression sanguine ? Qu’est-ce que ça a de patriotique les Tefillin ?
Je pense à mon humble avis qu’ici repose un fondement précieux du Judaïsme. Et c’est pourquoi j’aimerai vous faire part des écrits prophétiques du Sefer Ha’Hinou’h sur ce sujet. (Le Sefer Ha’Hinou’h est un mystère quant à son auteur, cependant on le situe au niveau du 13e ou 14e siècle et on pense qu’il était un élève de Na’hmanide en Espagne. Il a rédigé un livre qui développe les 613 commandements de la Torah en essayant de donner des raisons à chaque commandement. Il se repose sur le compte des commandements de Maimonide en y rajoutant ses explications qu’il a reçu de ses propres maitres.)
Voici les paroles du Sefer Ha’Hinou’h : L’homme a été créé avec un corps matériel. De manière naturelle, le corps est poussé à assouvir ses pulsions et toutes ses envies, comme une bête qui, avec son instinct de survie ne pense qu’à couvrir ses pulsions, quitte à déchiqueter les autres animaux autour d’elle. Dieu, par sa bonté nous a insufflé un souffle divin appelé le Nefesh qui ne s’arrête pas aux pulsions bruts mais les utilise pour le servir. Ce souffle nous entraine à nous abstenir de commettre des interdits et aspire à nous faire rapprocher de Dieu. Mais, la force extrême de notre part matériel en notre personne cherche perpétuellement à écraser la part Nefesh qui est en nous. C’est pourquoi, le passage du Shéma qui représente notre soumission et notre crainte de Dieu nous ordonne quatre commandements, l’étude de la Torah, l’obligation de nouer les phylactères, poser des Mézouzote aux entrées de nos maisons, et mettre aux quatre coins de nos vêtements des Tsitsite afin d’avoir sur nous des gardes pour ne pas perdre l’esprit face à cette force matérielle qui cherche à écraser notre Nefesh.
Il y a plusieurs notions à retenir de ce passage-là.
-"אל תאמין בעצמך עד יום מתך" ‘’Ne fais pas confiance dans ta propre personne jusqu’à ta mort’’. On aimerait bien être un modèle pour le monde entier, on aimerait que tout le monde nous ressemble et que tout le monde comprenne que nous sommes les meilleurs. Mais, le Sefer Ha’Hinou’h nous enseigne, qu’en réalité on ne peut pas se suffire à soi-même. Nous ne sommes que des bêtes si ce n’est le fait que Dieu nous ait donné un cadeau incroyable qui s’appelle ce Nefesh. Si nous pouvons faire quelques choses de notre vie, ce n’est que par la bonté de Dieu, il nous a donné une possibilité de le servir. Et pour cela, c’est un combat perpétuel entre notre volonté de le servir et notre volonté de nous laisser aller à nos besoins pulsionnels. Tout seul, on ne peut pas s’en sortir. C’est pourquoi, Dieu nous a donné dans ses commandements des petits jokers qui nous aident justement à sortir la tête du no man’s land qui est notre personne. On prend du recul en voyant ces commandements qui nous entoure. Lorsqu’on rentre dans notre maison, il y a une Mézouza à notre porte. Lorsqu’on s’habille, on porte les Tsitsite. On prend une bonne partie de notre temps à étudier la Torah et enfin, on est constamment lié aux Tefillin qui sont posés contre notre cœur et contre notre cerveau. Même si l’instinct matériel reprend du dessus, on a la possibilité de reprendre du recul et de nous rappeler ce qu’on vaut vraiment.
-Une notion importante qui peut être soulignée, c’est la notion de symbole. Comme je l’ai dit, nous avons toutes sortes de symboles pour montrer qui nous sommes, pour montrer au monde entier pour quelle cause nous adhérons. Pour montrer ce qu’on vaut. Mais au final, dans cette volonté de valoir et cette volonté de nous définir socialement. Avons-nous un moment pour prendre conscience réellement, de nous-à-nous, qui nous sommes réellement ? Avons-nous la possibilité de nous définir véritablement pour nous même ? Les Tefillin, comme nous avons dit plus haut, sont nommé symboles. Mais, ce ne sont pas des symboles identitaires, des portes drapeaux de la cause juive. Ce sont des symboles pour nous identifier intérieurement à notre propre cause. A ce qu’on doit faire dans la vie. Ce que nous savons de nous-à-nous, ce que nous valons réellement. Nous pouvons faire les choses les plus incroyables une fois que nous avons en amont définis parfaitement notre programme. Ici le programme, c’est de faire la volonté de Dieu. Non pas en écrasant notre personnalité, mais en utilisant notre personnalité convenablement.
J’aimerais finir avec une parabole architecturale du Beth Hamikdash, le temple de Jérusalem. Au Beth Hamikdash, les fenêtres étaient construites bizarrement. En générale, on construisait à l’époque les fenêtres en biais, dirigées vers l’intérieur afin de recueillir les rayons du soleil pour éclairer la maison. Mais, au temple de Jérusalem, les fenêtres étaient dirigées au contraire vers l’extérieur. Comme pour représenter que c’est justement le temple lui-même qui donne son éclat au monde. Nous aimerions tous être un soleil qui éclaire le monde entier, mais à quoi sert ce soleil s’il ne puise pas sa lumière dans le service de Dieu au Beth Hamikdash ? Puissions-nous être de bons serviteurs de Dieu afin de faire briller le monde entier de la présence Divine.